Jean-Charles Dotigny
Chacun a dans le coeur une chambre royale, je l’ai murée, mais elle n’est pas détruite.
Gustave Flaubert
Né à Paris en 1952.
Vit et travaille à Bordeaux, France.
Expose régulièrement en Aquitaine, à Paris et Toulouse.
L’autobiographie, entre archéologie de l’intime et mythologies personnelles, le ressassement du roman familial, le recyclage des panoplies de l’enfance, forgent l’âme, l’armature de mes productions plastiques. J’utilise des matières à mémoire : couvertures feutrées, verres abandonnés, laine, terre et briques, charbon… Je suscite des rencontres, assemblages et empilements, impose formes et déformations, appose des pigmentations, pratique des carbonisations. Puis, j’envisage l’installation théâtrale d’un récit en rébus, ou tente des reconstitutions.
La couverture
J’ai retrouvé cet humble tissu feutré qui protège, qui cache, dont on recouvre hommes et objets en attente, en transfert. Il ravive une mémoire commune aux passants du XXème siècle. Loin de la toile du peintre, soumise et blanchie, écartelée sur le châssis, elle n’est pas d’un abord facile. Ses qualités plastiques n’en font pas un support aisé, mais l’empreinte lui va bien, celle du corps. Elle épouse la cause de notre forme. Ni linge, ni linceul, elle est bien un tissu, de laine, comme le lange à l’origine. Entre peau et fourrure, tout en elle convoque le toucher, pourtant, de celle que j’utilise, nommée « militaire », certains redoutent le contact, le soupçonnent grossier. On est sans attention pour sa teinte sombre, ordinaire, uniforme. Mais il faut s’approcher, dans l’usure guetter vécus et repentirs, profiter des faux plis, des replis du passage de l’homme, et inscrire le sien. Si elle prend le pigment, c’est par frôlement de la brosse, poil contre poil, ou bien par la teinture, en lente imprégnation, supplice de l’absorption jusqu’à plus soif pour une faible coloration. Pour la peindre, je la redresse, à contre-emploi elle perd l’horizontalité, ou je tente le modelage, la pile, le tas, son inertie me manipule. Je prescris souvent quelques brûlures, superficielles, ultimes marques de mon faire.
Le verre
Aux antipodes de cette lourde, opaque et chaude mollesse plutôt bourrue, avec précaution j’aime le verre dur et fragile, léger et transparent, lisse et froid. Je récolte celui que le moindre éclat condamne au rebut, dont la moindre contrariété ruine la préciosité. Il s’abandonnera lentement à la chaleur précise et réparatrice du four, proposera après s’être plié à l’exercice, quelques métamorphoses garantes d’une nouvelle vie plastique.
La brique
Pour la brique pas de riche glaçure superficielle, juste une patine, le temps, qui violace et qui gerce. La céramique est modeste, et si sa forme est simple, épure sans la subtilité d’une géométrie dorée, ses proportions, un sur deux, sont belles du rapport musical de l’octave. Brique pleine des plaines du Nord, de Picardie, d’Artois, des Flandres, souvent son argile connut le feu avant le moule : là bas, en terme de caprices, l’architecture lui céda les après-guerres, les reconstructions sommaires. A Rome, je contemple, différente, antique, celle que la desquamation des murs met au jour. Débarrassée des marbres et des stucs superficiels, elle est la chair rouge orangée, le muscle qui enfin se regorge de lumière, puis, par usure, se ruiniforme. A Venise, en marge des palais, je traque dans les murs de briques, entre fascination et compassion, chaque fenêtre, chaque ouverture condamnée au mutisme par un autre mur de briques.
Charbons et autres carbonisations
Autant que la noirceur du charbon, J’aime sa promesse du rouge. Le roulement des boulets déversés de leur sac évoque la profondeur obscure de son origine. Il forme avec le verre un clair obscur idéal, et m’encourage à l’expérimentation : papiers pauvres, cartons, laine, sans flamme directe ni combustion totale, avant la cendre et la poussière, la carbonisation les anoblit sans les détruire.